Blog perso pour se faire plaisir et communiquer avec les amis qui sont loin, et tous les autres : visites, impressions, découvertes...
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jeudi 2 juin 2011

Frontière




Le blog a déjà fait état d'un goût immodéré pour les zones frontières, les marges et les marches.

A l'approche d'un nouveau voyage transatlantique, une expérience toute particulière de 2003 mérite sans doute quelques mots ici.

Voiture immatriculée dans la Belle Province Je me souviens - Québec, direction les Etats Unis entre lac Erié et Ontario. L'ambiance entre les Etats Unis et la France n'est pas bonne. Le Président Bush incrimine le gouvernement français pour son non engagement en Irak à longueur de médias. Des chicayas de la part des autorités d'immigration à la frontière US sont à craindre : ce n'était pas rare dans l'ambiance de l'époque, plusieurs incidents avaient été rapportés.



La voiture s'arrête à la grande barrière autoroutière qui filtre le trafic entre les deux pays, mais hélas, en mordant largement sur la bande blanche. Un agent d'immigration sort de sa boite : Monsieur, aux Etats-Unis, nous avons l'habitude de nous arrêter au STOP, en américain évidemment. Bingo, ça commence bien. Arrêtez vous un peu plus loin à droite, entrez dans les locaux et attendez, on vous appellera. Mais donnez-moi votre passeport en attendant.

OOups ! Privé de passeport à la frontière d'un pays qui se considère en état de siège, c'est comme être tout nu dans un immense terrain vague sans pouvoir en sortir.

On gare, on entre, on attend dans une petite pièce glauque au mobilier rare et avachi, par ailleurs mobilisé par  toute l'Afrique : Mozambicains, Marocains, Guinéens... et même Allemands en vadrouille.



Une porte vitrée vers l'intérieur laisse voir trois officiers d'immigration en grand uniforme assis à leur bureau, occupés à consulter de volumineux listings informatiques, à pianoter sur leurs ordinateurs, sans aucun contact visuel avec les pauvres humains non-US coincés dans le sas d'accès. Une grande mention sérigraphiée sur la porte prévient : Attendez qu'on vous appelle pour entrer. OK, on va attendre qu'on appelle.

L'Allemagne est délivrée, puis le Maroc - un gars sympa, francophone évidemment, avec lequel on a pu tuer quelques minutes en échangeant ses impressions : compte tenu de son origine, il craignait d'être refoulé, tout simplement - puis la Guinée, et pour finir même le Mozambique, remplacés bien sûr au fur et à mesure par des homologues tout aussi lointains. Quelques quarts d'heures s'empilent. Inquiétude pour la France, que j'avais l'honneur de représenter dans ce cagibi ce jour-là.

Tendant le cou pour observer l'intérieur au delà de la porte vitrée, on observe un passeport européen stagnant au coin du bureau de l'officier manifestement le plus gradé, donc le chef, tronant au milieu des autres.

Re-OOuppps Que se passe-t-il ? Est-ce au discours de M de Villepin à l'ONU contre la guerre d'Irak que je vais devoir de honteusement faire demi-tour vers mes pénates provisoires des Laurentides, après tout bien plus hospitalières pour les Frenchies dans la période.

Toujours aucun contact visuel possible avec le patron de l'immigration locale. Prenant mon courage à deux mains, je passe la porte lentement, m'approche de son bureau à pas comptés en me courbant au moins autant que devant l'Empereur de Chine, balbutiant, tremblant, Excusez moi de m'excuser, j'ai peut être été appelé, mais peut-être je ne l'ai pas entendu. Gasp.


Pas de réaction immédiate du colosse. C'est costaud, un américain en grand uniforme. Après trois secondes d'éternité, toujours sans aucun contact visuel, il attrape ce qui était bien mon passeport au coin de son bureau, l'ouvre lentement, et commence à pianoter sur son ordinateur pour y entrer je suppose mes humbles coordonnées françaises.

Enfin une question sort de sa bouche, et enfin ses yeux - par définition suspicieux - se fixent dans les miens. En américain :
Monsieur, vous êtes bien né à Vitry-le-François, France ? 
- Oui, Monsieur, je suis bien né à Vitry le François, France.
- (Toujours en américain) Monsieur, me croiriez vous si je vous dis que moi-aussi, je suis né à Vitry-le-François ?
- (En pauvre américain pour moi) Non, Monsieur, je ne vous croirais pas, personne ici ne connaît Vitry-le-François, c'est une petite ville de 18 000 habitants dans l'est de la France.



Et notre chef  local de l'immigration de passer alors dans un français parfait : Monsieur, je suis né à Vitry-le-François dix-huit mois après vous !

 Éclat de rire général, Bienvenue aux Etats Unis d'Amérique, je vous présente à mes collègues, je vous offre le café... Ouf !

Mon interlocuteur était bien né dans la même ville que moi, à 6 182 km de là, d'un père GI et d'une mère française, parlant parfaitement le français, jusque dans les noms de tous les patelins alentours de mon petit coin de Champagne, donc certains ont des prononciations fort différentes de leur graphie. Nous avons causé du pays, échangé les adresses, et voilà.

Bien sûr tout ce qui précède est authentique. Comprenne qui pourra, mais hasard et raison ne jouent pas dans la même cour.