Trois séries marquent la première partie de 2024, trois classiques, déjà.
D'abord The Hour, Arte relayant l'excellence de la BBC mais après plus de dix ans, hélas. La série a été diffusée dans les années 2011-2012 et propose deux saisons seulement, soit douze épisodes d'une heure.
The Hour relate la mise en place en 1956, puis le développement de la principale émission politique de l'époque. Et on observe, comme in vivo, le laborieux travail d'indépendance du média télévisuel vis à vis du pouvoir politique, à l'époque où, en France, un Ministre de l'Information exerçait une tutelle directe et totale sur l'ORTF.
Deux modèles différents, deux niveaux de tolérance différents, mais dans les deux cas, rien n'était facile, ni acquis, ni évident : chaque mot était pesé quand il s'agissait d'actualité sensible pour le Royaume.
Comme souvent à la BBC, tout est excellent : décors, intrigues, acteurs (Dominic West et Ben Whishaw).
Ensuite, l'énorme Shogun, produit par Disney, inspiré du best-seller éponyme de James Clavel, publié il y a déjà...50 ans. Et la série des années 80 bien connue l'avait popularisé déjà.
Le Shogun de 2024 est somptueux en matière de décors et costumes. Au point même d'oublier tout le reste : l'intrigue, le jeu des acteurs, le contexte historique... Bref, il faudra revoir l'ensemble de la mini-série tant il reste à voir, même si l'ensemble peut paraître un peu lent. Mais nous sommes au Japon au XVII° siècle !
Aux premiers temps du XVII° siècle, le Japon développe une société particulièrement raffinée, mais aussi isolée et minée par les guerres intestines. Aller au Japon à l'époque, c'était comme aller sur la planète Mars aujourd'hui. Seuls les Jésuites ont droit de cité grâce à leur habileté diplomatique, culturelle et linguistique : les Jésuites étaient capables d'apprendre d'importe quelle langue si c'est nécessaire.
L'arrivée d'un navigateur écossais perturbe le tableau et constitue l'essentiel du ressort narratif.
Une mention tout particulière pour l'acteur Hiroyuki Sanada, qui joue le personnage du futur Shogun, hiératique et marmoréen : less is more, peut-on dire de son jeu. Cet acteur a une filmographie énorme, et dans tous les genres : donc, forcément, vous l'avez déjà vu quelque part.
Enfin, la mini-série Baby Reindeer : encore une bonne pioche pour HBO, mais c'est presque toujours le cas. Elle s'inspire directement d'un fait divers : le harcèlement cauchemardesque de Richard Gadd, humoriste écossais par une groupie entre 2015 et 2017.
C'est Richard Gadd qui joue d'ailleurs son propre personnage dans la série, ce qui lui donne une dimension supplémentaire, que Netflix a d'ailleurs bien aperçue en la produisant.
La vraie harceleuse est maintenant devant les tribunaux, mais cette fois comme plaignante, s'estimant diffamée par son personnage dans la série.
Mais le grand intérêt de la mini-série est d'abord de parfaitement décrire les ressorts du harcèlement tout au long des sept épisodes. L'écriture du récit est juste, précise, parfaitement crédible...
Si le harcèlement n'est pas vraiment nouveau, les nouveaux moyens de communication ont permis d'en décupler les effets sans pouvoir être équilibrés par d'autres outils, restant à inventer. Mais Baby Reindeer nous donne déjà un bon diagnostic sur cette perversion contemporaine devenue si fréquente.
Comme la dernière publication sur les séries avait souligné les portraits de trois personnages féminins, les séries de l'été nous apportent cette fois quatre portraits de personnages masculins intéressants.
Lawmen Bass Reeves (en français : Lawmen : L'Histoire de Bass Reeves), série de l'univers Yellowstone/Paramount. Il s'agit d'un sherif noir ayant réellement existé, Bass Reeves. On s'attache rapidement à ce personnage intègre.. et on imagine sans peine quelle force de caractère il devait avoir pour exercer son métier à la fin du XIX° siècle.
Dans la réalité, il a arrêté quelques 3 000 malfrats - quand même. On notera qu'il a dû en tuer 14 pour protéger sa propre vie.
Becoming Karl : il est étonnant que Disney ait pu produire ce biopic et on était très sceptique, flairant l'hagiographie pasteurisée. La soupçon fut vite balayé, car la mini-série n'épargne pas les aspects les plus sombres de la période choisie, pas plus que les aspects les plus matériels - voire triviaux - de la vie de Karl Lagerfeld. Et on est même intéressé aussi par les débats internes à la La Fédération de la Haute Couture et de la Mode.
La série nous offre un casting percutant : Daniel Brühl (on l'avait repéré déjà dans Good Bye, Lenin il y a... vingt ans, Théodore Pellerin (que la série permet de mieux repérer, lui, canadien bien francophone qu'il faudra suivre), Alex Lutz (souvent excellent dans ses rôles sérieux), Arnaud Valois (composition intéressante, car les comparaisons sont faciles en matière de clones cinématographiques d'Yves Saint Laurent) et...Agnès Jaoui - quand même.
HBO, encore, propose la mini-série The Sympathizer, construite aussi autour d'un personnage masculin, métis vietnamien-américain, maîtrisant les codes des deux cultures. L'acteur, Hoa Xuande, est australien dans les faits, et il faudra aussi le suivre.
Les passionnés de l'interculturel trouveront beaucoup de stimulation intellectuelle dans le récit : ainsi, par exemple, les grossières erreurs relevées dans un film US sur la guerre du Vietnam sont-elles hilarantes...
La mini-série est inspirée d'un roman de Viet Thanh Nguyen, qui a collectionné les prix : prix Edgar-Allan-Poe du meilleur premier roman, prix Pulitzer de la fiction et prix du Meilleur Livre étranger en 2017 en France.
On attendrait vivement la deuxième saison, hélas totalement hypothétique.
Enfin,, la série Willy Trent propose un personnage de policier atypique dans la série du même nom sur Disney, complexe et très attachant.
Pour mémoire, il est aussi possible de mentionner les productions suivantes :
- Citoyens clandestins, sur Arte, mini-série d'espionnage quasi-complotiste avec le meilleur des acteurs français : Raphaël Quenard, Pierre Arditi, Nicolas Devauchelle, Frédéric Pierrot... Quatre épisodes seulement à ce jour : on espère qu'elle aura une suite. Le ton rappelle celui à certains moments du Bureau des Légendes : cynique, réaliste, ambivalent
- Elsbeth : la série est un spin-off fantaisiste de The Good Fight, lui même issu de la grande série juridique The Good Wife l'ensemble étant produit par CBS.
Quand on aime l'univers de The Good Fight - un des meilleures séries actuelles sur les Etats Unis - on aimera Elsbeth : nous sommes à New-York et non plus à Chicago, et sur le terrain direct du crime, et non pas dans les hautes stratégies d'avocat de la défense.
A la fin des fins, l'immense déception par le dernier péplum d'Amazon, Those about to die doit être mentionnée.
Que de moyens ! Et on convoque Anthony Hopkins pour faire venir le bon peuple...
Pitié, donnez ces moyens à HBO pour que cette chaîne nous donne enfin une suite à Rome, série indépassable sur l'antiquité romaine, plutôt que de les gâcher dans des effets spéciaux complètement à côté de la plaque, des séquences racoleuses et des acteurs bien mal utilisés.