Quel chef d'œuvre que cette cantate de Jean-Sébastien Bach, numérotée BWV 106 dans le répertoire général de ses œuvres !
C'est une œuvre de jeunesse de Bach : il l'a écrite à 22 ans, comme organiste de Église Saint-Blaise de Mühlhausen dans les années 1707-1708.
Est-ce de l'ambiance noire de cette ville, qui a connut deux siècles plus tôt une théocratie radicale et violemment égalitaire instaurée par un disciple de Luther, Thomas Müntzer, qui a inspiré l'Actus tragicus, nom donné à cette cantate et on verra pourquoi.
Mystique, spiritualiste, apocalyptique, révolutionnaire, Thomas Müntzer fut célébré à l'époque de la RDA - nous sommes en Thuringe, ex-RDA - comme précurseur du communisme.
Les paroles de la troisième partie de l'Actus tragicus résument très bien l'argument :
que nous devons mourir
pour que nous devenions sage.
daß wir sterben müssen,
auf daß wir klug werden.
Nous sommes donc dans les pages les plus sombres de la théologie protestante, célébrée par cette musique savante et sobre.
L'instrumentation de la cantate correspond au dénuement de son thème : deux flutes à bec, deux violes de gambe et un orgue, en ajoutant bien sûr les solistes et un chœur. Par contraste, les douces mélodies de l'œuvre donnent un sentiment d'humilité devant la mort, ordonnée par l'autorité divine à l'heure qu'elle choisit (En lui nous mourrons au bon moment, quand il le veut/In ihm sterben wir zur rechten Zeit, wenn er will dit le chœur initial)
Du coup, nous pensons tout de suite aux paroles que Jean-Sébastien Bach aurait prononcées sur son lit de mort quarante-deux années plus tard : Ne pleurez pas pour moi, je vais là où la musique est née
Pas mal.
Voici quelques interprétations de référence de l'Actus tragicus, mais l'internet en publie beaucoup d'autres.