Chers Amis hongrois,
Au temps du Mur, vous étiez exceptionnels. Vos dirigeants avaient su, par petits pas, à partir de la féroce répression de 1956, vous donner une place à part dans le glacis soviétique et même une dose de petite entreprise privée était possible chez vous.
Vous étiez parvenus à la pointe de ce que l'ours russe pouvait tolérer. Et pour le basculement dans l'Europe moderne post-soviétique, vous étiez en toute première ligne. Vous paraissiez prêts, vous n'attendiez que cela à l'évidence.
Vous avez donc été, tout naturellement, les premiers "de l'Est" rencontrés quand il s'est agi de construire la nouvelle Europe.
Mais avant cela même, nous avons pu avec vous et les Allemands, vos chers alliés, aller très loin dans l'échange et les contacts. Beaucoup plus loin qu'avec tous les autres pays du "bloc socialiste", puisqu'on l'appelait comme ça.
Et l'on craignait d'ailleurs toujours les défections quand un groupe était accueilli, car les gardiens du semblant d'orthodoxie qu'il fallait afficher pour contenter Moscou n'auraient pas pu fermer les yeux et auraient forcément dû "marquer le coup" en stoppant pour un moment nos rencontres, à leur corps défendant probablement d'ailleurs.
Et on peut même le dire : on a offert gîte et couvert à certains d'entre vous qui, en arrivant en France, avaient fait voeu de ne pas revenir en Hongrie.
Il vous faut maintenant chasser les fantômes laissés par trois Empires au moins, auxquels vous avez appartenu successivement : l'
Ottoman, l'
Austro-hongrois et le
Soviétique.
Et cela ne se fait pas tout seul, car votre identité nationale maintenant se reconstitue sur le dos des minorités nationales qui, les pauvres, n'y peuvent rien, et à la faveur d'un régime durci, populiste, simpliste et xénophobe, disons-le tout net.
Votre particularisme peut pourtant s'illustrer facilement de manière beaucoup plus noble, par exemple par la place immense qu'occupe la musique pour vous - la
cithare et le
cimbalon en tête - et par votre langue toute en voyelles et parfaitement incompréhensible des autres peuples, dite finno-ougrienne, groupe de langues dont on avait déjà parlé dans notre
lettre aux amis finlandais.
Je pense à vous, toujours. Dans quel camp êtes vous maintenant ? Que faites vous dans ou pour votre pays après les bouleversements du XX° siècle ? Nous nous sommes perdus de vu et je ne sais pas vraiment. Mais quelque chose me dit que le quotidien ne doit pas être très facile pour vous en ce moment.
En attendant des jours meilleurs, on ne manque jamais, passant au Cimetière du Père Lachaise, de s'arrêter sur le Monument à la mémoire
d'Imre Nagy, cet immense hongrois assassiné par les Soviétiques alors qu'il ne faisait que protéger son peuple contre l'arbitraire, l'oppression et la répression.