Le printemps nous apporte quatre séries d'anthologie apportant au public le meilleur des récits contemporains. Chacune, dans son genre, nous place au cœur de la grande histoire de manière originale, crédible et édifiante.
Chacune des saisons de Deutschland porte l'année de leur récit : 1983, 1986 et 1989, cette dernière année étant cruciale pour l'histoire de l'Allemagne.
La série nous place en RDA, jusqu'à la disparition du pays, absorbé si vite par la République fédérale.
Autant dire que celui qui s'intéresse à l'histoire allemande contemporaine n'y perd par une miette : espionnage continu et multiforme de l'Ouest par l'Est, discours idéologique marxiste-léniniste omniprésent dans l'espace public, flicage à grande échelle de la population, pusillanimité des dirigeants, complaisance servile vis à vis de l'URSS etc.
Autant de stigmates qui expliquent qu'il n'était pas possible de sauver quoi que ce soit de ce pays factice. Mais sans doute la série nous engage à ne rien oublier, tout en s'interroger sur ce qu'est une démocratie, ici ou là, entre sécurité, égalité et liberté. Sic transit.
On retrouve dans les intrigues et la vie des personnages tous ces ingrédients, servis par d'excellents acteurs.
Malheureusement, les trois saisons ont été diffusées de manière un peu erratique, aux Etats Unis (réseau Sundance, puis Amazon Prime), en Allemagne (RTL) et sur Canal Plus, mais de manière quasi-confidentielle. C'est dommage : on pourrait espérer qu'une chaîne comme Arte par exemple puisse lui donner un plus large public en France, car elle le mérite.
Au passage, on n'oubliera pas la fameuse citation de François Mauriac J’aime tellement l’Allemagne que je suis ravi qu’il y en ait deux (Le Temps d’un regard, 1978, Jacques Chancel). La phrase aurait pu être prononcée par un autre François - Mitterrand - qui ne croyait pas trop à la réunification pour sa part. La série y fait une autre réponse, celle de l'histoire.
For all Mankind est une uchronie formidablement intéressante, notamment pour ceux qui sont passionnés de conquête lunaire. La série part d'une réalité tout à fait plausible : les soviétiques sont arrivés sur la Lune avant les américains à la fin des années soixante.
De là, on pouvait craindre une série centrée sur le sentiment national américain blessé, de qui est le cas dans les premiers épisodes.
Heureusement, le récit prend de la hauteur et il réécrit complètement l'histoire de la conquête lunaire : envoi d'une femme sur la Lune - toujours le fait des soviétiques -, établissement de bases permanentes sur la Lune (une pour les USA, une pour l'URSS), exploitation des ressources lunaires, recrutement d'astronautes femmes, promotion d'ingénieurs femmes qui finissent d'accéder aux postes les plus hauts de la NASA... On peut rêver, non ?
Ce cadre général fournit beaucoup d'histoires et de rebondissements tout au long des deux saisons existantes (10 épisodes par série d'une cinquantaine de minutes), et pourront sans aucun doute produire une troisième, en projet.
Il permet aussi de laisser passer plus facilement le sentimentalisme familial qui n'échappe jamais à une série US, tout comme le ketchup (
Heinz) dégouline dans toute cuisine
yankee.
Au Québec, le titre est Pour toute l'humanité, qui est une parfaite traduction : qui doit représenter tout l'humanité dans les étoiles ? Cela ne peut pas être forcément que les Etats-Unis, non ?
Deuxième uchronie de cette sélection : The Plot against America/Le complot contre l'Amérique, adaptation TV du roman de Philip Roth, mais on peut faire confiance à HBO pour produire des contenus télévisuels de bonne qualité, ce qui est le cas.
Cette mini-série de 6 épisodes de 55 minutes mériterait une deuxième saison tant la fin de la première saison est angoissante.
L'argument est simple mais terriblement efficace : Charles Lindbergh - l'aviateur bien connu - remporte l'élection présidentielle de 1940 en battant Roosevelt. Comme militant du mouvement America First Committee - cela rappelle quelque chose de plus récent, il était contre l'implication des Etats Unis dans la deuxième guerre mondiale et germanophile, ce qui à l'époque témoignait de sympathies nazies.
Dans la vraie vie, Lindbergh avait proclamé en public en 1941 : Les trois groupes les plus importants qui ont poussé ce pays-ci à la guerre sont les Britanniques, les Juifs et l'administration Roosevelt.
De là, la série décrit les conséquences de l'arrivée d'un tel homme - héros noir - à la Présidence fédérale sur la vie politique et sociale des Etats Unis au travers d'une famille juive, mais aussi bien américaine : persécutions, guerre civile, désordres violents, meurtres politiques, apartheid d'une partie de la population, apparition des "collabos", attaque des institutions politiques en place - cela vous fait penser aussi à quelque chose de plus récent aussi, non ?
On ne peut pas ne pas évoquer les vagues d'intolérance, de racisme, de violence et de délire complotiste que Trump a suscitées pendant son mandat. La fin de la série n'indique pas quel est le vainqueur des élections de 1944 dans cette effrayante réalité parallèle, mais on sait qu'elles seront contestées.
Une série salutaire, providentielle. effarante, en espérant qu'elle ne soit pas prémonitoire de surcroît.
Ouf, beaucoup plus est légère est Staged, série britannique, mais remarquable à plusieurs titres.
Elle est issue du premier confinement du Royaume Uni. Désœuvrés, deux immenses acteurs que sont Michael Sheen et David Tennant décident de jouer leur propre rôle, dans leur propre domicile, avec leur propre famille, en utilisant la visioconférence... et en faisant intervenir d'autres acteurs, dans leur propre rôle.
Nous sommes donc dans un parfait exercice de style, destiné en l'occurrence à la BBC One (On l'aurait parié !), mais à ce niveau, on se laisse embarquer très vite même si le prétexte est mince : préparer la mise en scène de la pièce de Pirandello, Six personnages en quête d'auteur.
Tout y passe au cours des deux saisons (14 épisodes au total de 22 minutes) : les reproches voilés mutuels, les petites hypocrisies du métier, les rivalités des deux egos en présence -évidemment immenses- sans oublier le poids du quotidien, essentiel dans une situation de confinement strict.
On rit beaucoup, compte tenu de ce formidable exercice d'autodérision des deux acteurs principaux et de leurs prestigieux invités ou invitées à découvrir.
On connaissait leur talent, bien sûr, mais le mettre au service du public de manière aussi contrainte relève d'une immense compétence professionnelle : divertir intelligemment en s'utilisant soi-même sans lasser ni offusquer. Chapeau bas.
PS : Cadeau bonus pour les anglophones : l'un est gallois (Michael Sheen), l'autre est écossais (David Tennant), les autres sont anglais ou américains... on se régale de tous ces accents.