Quelques balades au bord de la
grande rivière m'avaient donné envie de creuser un peu le sujet de l'utilisation de la voie fluviale au fil de l'histoire, mon atavisme en matière de navigation d'eau douce aidant.
Merci tout d'abord a toutes ces sociétés savantes fort nombreuses en France, animées par des bénévoles, qui permettent de conserver cette mémoire intéressante à plus d'un titre.
L'histoire du flottage du bois venant du
Morvan jusque Paris illustre de manière éclatante la contingence des affaires humaines et leur versatilité, si on les rapporte à leur environnement naturel plutôt généreux mais domestiqué, instrumentalisé, commercialisé voire dévasté puis finalement laissé à l'abandon après des transformations souvent irrémédiables.
A la lecture de l'ouvrage, on est frappé du niveau de spécialisation et de codification qu'avaient atteint les
techniques de flottage entre le XVI° et le début du XX° siècle - les toutes dernières tentatives de les utiliser remontent à 1940 - pour complètement disparaître, et à jamais, au cours de la deuxième guerre mondiale.
L'auteur ressuscite au passage tout un univers humain, économique, matériel : mouleurs, empileurs, jeteurs, flotteurs, poules d'eau, tireurs, triqueurs, gardes-ports, jurés-compteurs, approcheurs, tordeurs, bachotiers, garnisseurs, meneurs d'eau, gareurs, lacheurs, débardeurs... Une société complète de plusieurs milliers d'humains - femmes et enfants compris - hiérarchisée au possible et organisée jusque dans ses moindres détails, toute entière tournée vers l'acheminement jusque Paris de cette denrée hyper-stratégique jusqu'à l'arrivée du charbon : le bois, ce pétrole solide et flottant des siècles préindustriels.
Pour la vue et les paysages, il faut imaginer ces torrents d'eau provoqués artificiellement à partir du
lac des Settons - créé entièrement à cet effet par le conseil général de l'Yonne au milieu du XIX° siècle sous l'impulsion de la "Compagnie des Intéressés au flottage de
la Cure et de ses affluents" - et charriant des millions de bûches de bois - toutes faisant 1.14 m de longueur, ravageant tout sur leur passage. Les bûches sont récupérées en aval par tout un système de barrages pour être assemblées en d'immenses trains de bois de 150 m de long qui mettaient une dizaine de jours à arriver à Bercy pour chauffer ensuite les parisiens.
Il faut imaginer ces amoncellements de bûches bloqués dans la rivière dès qu'un obstacle a surgi, les "embâcles", qu'il faut aller débloquer au péril de sa vie faisant du coup s'effondrer le plancher provisoire et instable sous les pieds des "ouvriers flotteurs" dont c'était le mauvais travail mal payé et souvent mortel.
Il faut imaginer les berges de la rivière entièrement déboisées, occupées par des dizaines de milliers de stères de bois prêtes à être jetées à la rivière dès que les autorités auront déclenché la crue artificielle.
Signe des temps, en ce début du XX° siècle, l'industrie du flottage a été mise en cause, puis définitivement supplantée par l'industrie touristique, qui s'accommodait très mal de ces utilisations fort dangereuses des rivières descendant du Morvan et de l'assèchement régulier des lacs. C'est d'ailleurs peut-être une des toutes premières victoires du tourisme sur l'industrie en Europe.
Sic transit. Le flottage est utilisé de nos jours en Amazonie, au Canada, en Russie et en Afrique.