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jeudi 3 juin 2010

Cycle Utopies réelles (8) : le Liberia, apartheid et bons sentiments




L'année 2010 est celle du cinquantenaire des indépendances africaines, étiqueté célébration nationale dont la responsabilité a été confiée à l'inoxydable Jacques Toubon dans l'indifférence générale (NDR - la preuve : impossible de trouver un site internet consacré à la chose...)Mais que les Français sont donc mauvais quand il ne s'agit pas de se célébrer eux-mêmes ! On ne souvient notamment encore avec consternation (ou plutôt, on ne se souviendra pas) du comportement désinvolte et distrait de nos élites au pouvoir pour leurs pitoyables performances lors du quatrième centenaire de Québec.

Passons sur ce point et revenons au sujet. Si les pays d'Afrique francophone ont gagné leur indépendance il y a 50 ans seulement, il est un pays d'Afrique indépendant depuis... 1847. Nous parlerons donc du Liberia, anglophone puisque créée de toutes pièces au début du XIX° siècle par les citoyens US bien blancs de la Société américaine de Colonisation (American Colonization Society, ACS) pour y réimplanter les descendants d'esclaves noirs devenus libres aux Etats-Unis et à qui il n'était pas question d'accorder les mêmes droits civiques que les blancs.


Pays créé de toute pièce à partir d'un projet à l'apparence généreuse et qui tourne au cauchemar : nous voici de plain pied dans l'utopie réelle dans tout ce qu'elle a d'horrible et de paradoxal.

Pas question ici bien sûr de faire un cours d'histoire du Liberia, mais on invitera le visiteur à bien regarder iciici et ici. Les anglophones auront également un peu plus de matière iciici et ici, par la force des choses...

Concentrons nous sur les caractères utopiques de l'entreprise.

D'abord un projet apparemment généreux mais plus qu'ambigü - redonner une patrie aux afro-américains libres - ils furent 13 000 à être réimplantés au Liberia au final - et leur permettre de l'administrer librement - le premier gouverneur noir Joseph Jenkins Roberts accéda à la fonction en 1842, il fut en 1847 le premier président du pays devenu libre - mais surtout et aussi pour éviter qu'ils ne contaminent la société blanche américaine ou ne la menacent, l'épisode haïtien conduit par Toussaint Louverture étant à l'époque dans tous les esprits.

Voilà qui revient, purement et simplement, à considérer l'apartheid comme le premier fondement de l'organisation politique des sociétés. Belle espèce de philanthropie, mais il est vrai si répandue au XIX° siècle, et de tous côtés de l'Atlantique. Belle illustration aussi du constat que l'enfer est décidément pavé de bonnes intentions.


Ensuite, la création d'un pays de toutes pièces sur un bout de côte occidentale africaine achetée morceau par morceau aux Anglais par les dollars collectés par l'ACS , le plan en damier deMonrovia - nommée ainsi en hommage à Monroe, 5° Président des Etats, ami de la Révolution française, ambassadeur des Etats Unis en France de 1794 à 1796 - en porte le témoignage urbanistique évident.


Enfin, le désastre : réduction en esclavage, traite et exploitation des autochtones par les nouveaux arrivants, guerres civiles, surexploitation des richesses naturelles par les sociétés étrangères... La sinistre mais habituelle panoplie du traitement que les êtres humains réservent aux autres êtres humains depuis des millénaires.


Il faut quand même mentionner qu'au terme de la sanglante guerre civile des années 1989 à 2005 (150 000 morts, 850 000 réfugiés hors des frontières, pour 3,3 millions d'habitants : pas mal !) , et sous le contrôle de l'ONU, le Libéria est présidé par une femme plutôt remarquableEllen_Johnson-Sirleaf. C'est la première femme élue au suffrage universel sur le continent. Ce pays a, malgré toutes ses vicissitudes, toujours un peu d'avance...