Que de grands monuments vidéos cet hiver. On s'est régalé !
Yellowstone, la grande saga US de Paramount est enfin visionnée...à l'exception bien sûr du dernier épisode de sa dernière saison (épisode 9, saison 5) que personne n'a encore vu. Il n'est peut-être pas sûr qu'il existe encore d'ailleurs, car il devait être tourné alors que la grève des scénaristes, en mai 2023 faisait rage, laissant en plan pas mal de séries qui ont eu du mal à continuer ou à se terminer.
La grève est finie, mais on ne voit rien arriver. Une brouille professionnelle serait en cause entre Kevin Coster, acteur principal et producteur et le reste de la production. Nous aurions donc ici une série inachevée, comme c'était le cas de certaines symphonies... Pourquoi pas. Et on se rappelle au passage que le divertissement vidéo aux Etat Unis est une vraie industrie, comme toutes les autres.
Entre temps, Yellowstone est devenue une vraie "marque" Paramount avec ses séries dérivées, dont on a parlé ici et son esthétique bien reconnaissable, à base de grands espaces naturels vides filmés en panoramique.
Nous sommes dans le Montana, et de nos jours : il faut le préciser car nous avons affaire à une activité déjà ancienne, dont les derniers représentants occupent la série : l'élevage extensif bovin. Bref, nous sommes dans l'autre pays des cow-boys, le premier étant le Texas.
Mais un pays extra-ordinaire : l'Etat du Montana compte un million d'habitants sur une superficie de deux tiers de la France. La densité de population y est de moins de 2,5 habitant par km². Mais on y compte 2,5 millions de bovins... Oups, c'est l'Etat le moins dense des Etats Unis après le Wyoming, son voisin, avec lequel il partage le grand parc national du même nom, Yellowstone.
Autrement dit, le Montana est une espèce de conservatoire naturel et humain, tout juste sorti du XIX° siècle, donc du Far West. Voici pour le cadre, survolé d'ailleurs par un hélicoptère siglé du ranch Dutton.
Le récit s'organise autour de la vie d'un ranch XXXL. On parle de 3 200 km² par recoupement, car cette superficie n'est pas mentionnée directement dans la série, soit l'équivalent d'une demie Corse quand même. De quoi aiguiser les envies et les convoitises, et à l'échelle de ce domaine hors du commun.
Tout au long des 47 épisodes (autour de 45 mn, avec des variations jusque 92 mn), on a son compte de fusillades, de meurtres, de vol de bétail, d'intrigues, de règlements de compte... avec quelquefois l'impression de répétition, soulignant les déficiences scénaristiques. Dommage.
La famille Dullon, celle du patriarche incarné par Kevin Costner n'en finit pas non plus de s'entredéchirer - quelquefois même au sens propre... L'hôpital est souvent visité, quoique situé assez loin si on a bien compris. Pas question ici de détailler l'ensemble bien sûr.
On est renseigné aussi avec intérêt le fonctionnement institutionnel de l'Etat, entre Gouverneur, Procureur général et Comté dominé par les éleveurs bovins.
On est aussi intrigué par le fonctionnement de la communauté amérindienne : nous sommes sur territoire Crows. Là aussi, l'histoire de ce peuple n'a pas été vraiment paisible après l'arrivée des européens, comme on s'imagine.
Mais elle dispose des terres, des prérogatives reconnues par les lois américaines et sa propre gouvernance, que montre de manière détaillée la série. Comme un peu partout aux Etats Unis, les privilèges fiscaux accordés aux premiers habitants leur permettent un certain développement, notamment autour des énormes casinos situés dans les réserves indiennes qui sont de géantes machines à cash. Malheureusement, l'argent ne rachète pas une culture dévastée, avec leurs séquelles sociales et sanitaires.
Au moins Yellowstone permet il aux spectateur européen de mieux comprendre ce qui se joue là.
A ce titre, Yellowstone reste une série exceptionnelle malgré ses défauts. On attendra donc son dernier épisode.
Quelle bonne initiative d'Arte de nous proposer This is England, espèce de monument télévisuel de Channel 4, chaîne anglaise publique mais ne bénéficiant d'aucun argent public, et qui s'est distinguée pour des programmes exceptionnels. On citera notamment Black Mirror (quand même !), Humans ou Queer as Folk.
La série This is England est directement issue d'un film de 2006 dont le récit se passe en 1983. Pour les trois saisons de la série, on note le décalage temporel comme suit :
This is England 1986 est diffusé en 2010 (4 épisodes)
This is England 1988 est diffusé en 2011 (3 épisodes)
This is England 1990 est diffusé en 2015 (4 épisodes)
Cela a son importance, car les acteurs suivent la série, et notamment Shaun, le premier personnage, qui a 14 ans dans le film initial. On observe ensuite son parcours tout au long de la série, ce qui donne une vraie force d'attachement à ce personnage, mais aussi à toute la bande qui l'entoure. Parti-pris narratif fort astucieux.
Nous sommes dans le Nord de l'Angleterre. Autant dire dans le cul de fosse de l'économie anglaise, chaque personnage tentant de survivre selon ses propres valeurs, talents, contacts... et sans reconnaissance sociale, sans argent, sans vrai boulot, sans relations dans ce bout du monde dont personne ne peut sortir facilement, forcément.
Et pourtant, ces personnages tiennent debout, Shaun le premier, qui sait se mettre en position d'observateur d'une situation qui devrait le broyer ou le rendre parfaitement imbuvable.
Le tableau d'ensemble est à charge pour les politiques économiques et sociales conduites dans les années 1980 au Royaume Uni... et qui continuent. Vu de France, on ne peut pas vraiment comprendre comment il est possible qu'une minorité de nantis inflige de telles situations à une immense majorité via le parti conservateur.
This is England démontre au final que les hommes et les femmes sont les vraies richesses du pays, mais personne ne s'en rend compte : quel immense gâchis !
Comme série anglaise, la mise en scène et le jeu des acteurs est impeccable, malgré l'immense difficulté à jouer correctement hors de sa classe sociale, les accents étant si discriminants dans l'anglais d'Angleterre.
Au fait, qu'est ce qu'une série anglaise ? Bonne question, car la langue ne suffit pas, puisque tant de pays utilisent l'anglais pour tourner leurs séries, Etats Unis en tête évidemment.
La série The Durrells pourrait peut-être répondre à la question.
Essayons. D'abord sans doute l'excellence des acteurs - l'Angleterre est le pays natal du théâtre occidental. On retrouve notamment dans The Durrels avec un grand plaisir Josh O'Connor - et pas seulement à cause de son rôle dans The Crown (celui de Charles jeune) et aussi Keeley Hawes, actrice que l'on voit très souvent dans toutes les productions anglaises.
Ensuite, les personnages et les situations sont toujours un peu décalées voire saugrenues : la famille Durrells, bien fauchée, s'est établie dans l'île de Corfou dans années 1930, qui n'est vraiment pas terre bénie pour les anglais, mais elle s'en sort malgré.
Enfin, ces séries exploitent beaucoup le fait tous les Anglais transportent avec eux leur culture nationale : culture hégémoniste, qui s'est greffée sur tant de territoires mondialement, mais qui ne s'est jamais imposée dans les mêmes termes que le colonialisme français, dont le but ultime est toujours l'assimilation des populations dominées, alors que la culture anglaise accepte facilement la coexistence des cultures. D'où un modèle de société interculturelle bien différent, et qui persiste encore de nos jours.
Il reste qu'Arte a eu aussi l'excellente idée aussi de proposer les quatre saisons de la série en même temps. On se régale donc de regarder comment les deux grandes cultures - anglaise et grecque - se frottent, souvent rugueusement, quelquefois de manière conflictuelle, mais toujours intéressante.
Mais, au final, les bruits de bottes de la fin des années 30 finiront par rattraper les Durrells, qui repartiront dans les brumes de leur île : quand la guerre est là, personne ne peut y échapper.
Une autre pépite de l'hiver offerte par Arte : Vår tid är nu (Notre heure est arrivée), retranscrit sous le titre The Restaurant, bien plus plat, et produit par la SVT, télévision publique de Suède, dont les produits sont synonymes de grande qualité.
Trois grandes saisons nous font suivre les hauts et les bas d'un grand restaurant fictif de Stockholm, tout au long de 28 épisodes. La série commence précisément à la fin de la deuxième guerre mondiale, en mai 1945 et se termine en 1968. Autant dire que beaucoup d'eau a coulé sur les nombreuses ponts de la capitale suédoise tout au long de cette fresque familiale, qui épouse bien sûr la petite et la grande histoire.
Une quatrième saison de 4 épisodes revient sur l'histoire du couple principal, en 1951 et conclut la série.
On peut, comme toujours, beaucoup apprécier le souci d'exactitude de ses concepteurs : exactitude des décors intérieurs et extérieurs et des costumes. Mais on peut y ajouter le souci d'exactitude des mentalités et de l'évolution sociale de la société suédoise, alors que s'y construit la social-démocratie, notamment par l'évolution des conditions de travail au Restaurant.
Les personnages et le récit sont également très bien soignés, et les acteurs, dont les principaux sont tous suédois, et on attend de les revoir dans des films ou dans des séries de même acabit.
Une mention particulière sur l'arrivée des Italiens en Suède au cours de la période, et sur leur place dans la société suédoise. Peut être pas forcément un détail, à l'heure où l'Europe se construit, du Sud au Nord.
Pour conclure, mentionnons ces cinq portraits de femme - personnage et actrice - pouvant susciter pas mal d'intérêt :
- Lessons in Chemistry (Apple Video), qui interroge sur le statut de la femme scientifique dans les années 50. Comme toutes les séries par Apple Video, la réalisation est parfaite et les décors bien léchés. L'actrice principale est la Californienne Brie Larson, qui multiplie les apparitions surtout au cinéma, notamment dans l'univers Marvel. Elle est aussi réalisatrice et chanteuse... beau personnage.
- Candy (Hulu/Disney) mini-série inspirée de faits réels, propose le portrait d'une femme au foyer insipide, mais... criminelle, et incarnée par Jessica Biel (épouse Timberlake) : le contre-rôle parfait. La performance d'acteur est à saluer évidemment. Jessica Biel est aussi réalisatrice et productrice.
- The Dropout (Hulu/Disney) raconte l'étonnante histoire d'Elisabeth Holmes qui a pu lever 700 millions de dollars à 19 ans sur la promesse de pouvoir effectuer rapidement et économiquement des analyses sanguines à partir d'une seul goutte de sang... Rien ne marchait, et tout s'est effondré en 2018. L'actrice principale est Amanda Seyfried, actrice endurcie, qui cumule déjà 23 ans de carrière à 38 ans. Elle est aussi mannequin et chanteuse.
- Fleabag (Amazon Video) série de deux saisons (12 épisodes) déjà un peu ancienne - elle a été diffusée entre 2016 et 2019 et qui avait eu un certain succès. La série a été produite à l'origine par la BBC, et notamment par la troisième chaîne, qui s'adresse traditionnellement aux adolescents et aux jeunes adultes, et ce n'est pas par hasard. Le principal personnage met en scène une jeune citadine qui rencontre les problèmes de sa génération : travail, famille, vie sentimentale et amicale, mais sur un rythme bien animé, laissant place aussi à des apartés hilarants créant rapidement une complicité avec le spectateur.
Phoebe Waller-Bridge, la principale actrice, a écrite aussi la série, dont les prix l'ont consacrée comme une des meilleures actrices comiques britanniques.
- Life and Beth (Disney) est comme un pendant américain de Fleabag : on devine un sacré caractère derrière son principal personnage, interprété par Amy Schumer, qui est d'abord humoriste de stand-up aux Etats Unis (ce qui n'est pas rien, dans un pays où le public est impitoyable), puis actrice et scénariste. Une belle palette de talents : Life and Beth témoigne d'une belle vitalité, qui, au passage, montre aussi ce qu'est vraiment le métier d'acteur/actrice, exercice quasi-inédit dans les productions françaises actuelles.