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jeudi 17 janvier 2008

Combien de bises ?

Je trouve sur un de mes sites préférés cette carte que le monde entier scrute. Il s'agit, enfin, de la cartographie du nombre de bises qu'il est habituel d'échanger dans chacun des départements français, établie rigoureusement au fil de 18 000 contacts partout en France qu'on peut trouver sur ce site internet bien français dédié spécialement à la chose.

Les quelques commentaires faits sur le site anglophone à propos de cette carte valent d'être traduits

(les * signalent les mots en français dans le texte anglais original)

Plus de 18 000 votes ont été recueillis pour déterminer une bonne fois pour toutes quelle est la réponse à cette question brulante : Combien de bises* ? Faire des bises en France est une question bien plus complexe que la réputation bien française et quelque peu exagérée de lascivité insouciante n'implique.

A la différence de beaucoup de nationalités plus réservées, les Français se saluent en s'embrassant sur les joues - mais cette pratique varie tant qu'on risque l'embarras social* si celui qui embrasse souhaite donner plus de bises que n'en attend l'embrassée.

Supposez un moment que vous êtes parti pour donner trois bises et que l'autre personne se détourne après deux bises. Quelle humiliation !

Cela a du arriver quelquefois à Gilles Debunne, qui a mis en place en 2007 un site internet pour résoudre la question du décompte des bises françaises une bonne fois pour toutes. Debunne a demandé à ses compatriotes* de lui dire combien de bises il est d'usage de faire dans chacun de leur département*. Ce nombre, qui varie de un à quatre (cinq, c'est trop, même pour les Français) est sujet à des variations régionales intéressantes.

  • Une bise est préférée dans deux départements seulement : le Finistère, au bout de la Bretagne, et les Deux-Sèvres, en région Poitou-Charente
  • Ailleurs en Poitou-Charente, trois bises sont préférées dans les départements de la Vienne et de la Charente. Le bloc le plus important des départements à trois bises est situé dans le sud-est. Trois bises * sont de mise en Ardèche, Aveyron, Cantal, Drôme, Haute Loire, Hautes Alpes, Hérault, Gard, Lozère et Vaucluse.
  • Quatre bises sont de rigueur dans une importante zone du nord-est de la France. Mis à part le département côtier du Pas-de-Calais, isolé, il s'agit d'un seul bloc de 22 départements, de la Normandie à la frontière belge : Ardennes, Aube, Calvados, Eure, Eure et Loire, Haute Marne, Indre, Indre et Loire, Loire et Cher, Loire Atlantique, Loiret, Maine et Loire, Manche, Marne, Mayenne, Orne, Sarthe, Seine et Marne, Seine-St-Denis, Val d’Oise, Vendée et Yonne.
  • Le reste du pays est territoire à deux bises, sauf pour ce qui concerne ce département au nord-est de Paris, le même qui a voté majoritairement pour Ségolène Royal dans l'océan de votes pour Sarkozy de ces régions lors des élections présidentielles de 2007.

Cette carte ne permet pas de visualiser les différences intradépartementales. Apparemment, les quatre bises* ont gagné de justesse dans le Pas de Calais, où 50% des sondés ont dit préférer deux bises. Mais que se passe-t-il donc quand des représentants des deux camps se rencontrent ? Un faux Pas de Calais* ? Et tout ceci ne tient pas compte des distinctions de classes ou d'âge qui peuvent jouer un rôle dans le nombre de bises requises ou attendues.

" Si vous êtes invité à un dîner avec des gens que vous ne connaissez pas, vous vous serrerez la main quand vous arriverez. A la fin de la soirée, vous pourrez embrasser mais il est probablement mieux de rester sur la réserve et d'observer ce qui va se passer." écrit Constance Rietzler, directrice de la "La Belle Ecole" à Paris, qui propose des cours d'art de vivre, et espérons-le aussi, de joie de vivre, citée dans cet article du Times signalé sur le site de Monsieur Debunne.

Cette carte a été envoyée par Romke Soldaat, du site Frogsmoke et qui pose la question : "Qu'est ce qui fait de la France un pays aussi attachant et en même temps aussi irritant ?? Pourquoi aime-t-on un jour les Français et les hait-on le lendemain ?". Il donne quelques réponses amusantes à cela, qui valent la peine d'être lues.


mardi 15 janvier 2008

Cycle réalisme magique (2) : les ultra-fondamentaux


Pour poursuivre en deuxième étape notre cycle "réalisme magique", posons deux fondamentaux : Magritte et Cortazar.

Un peu de bonne lecture ne peut pas faire de mal. Voici donc, dans son intégralité, Continuité des parcs, texte fondateur du réalisme magique, issu des Armes secrètes, le recueil de nouvelles de Julio Cortazar. Ne manquez pas d'autres textes à l'occasion comme Axolotl, dont le frisson me poursuit depuis trente années maintenant, chaque fois que je passe vers le jardin des plantes à Paris.

Quant à Magritte, on ne présente plus. Les quelques reproductions de ses œuvres ici choisies se suffisent amplement à elles-mêmes pour évoquer le genre.


Continuité des parcs

Il avait commencé à lire le roman quelques jours auparavant. Il l'abandonna à cause d'affaires urgentes et l'ouvrit de nouveau dans le train, en retournant à sa propriété. Il se laissait lentement intéresser par l'intrigue et le caractère des personnages. Ce soir-là, après avoir écrit une lettre à son fondé de pouvoirs et discuté avec l'intendant une question de métayage, il reprit sa lecture dans la tranquillité du studio, d'où la vue s'étendait sur le parc planté de chênes. Installé dans son fauteuil favori, le dos à la porte pour ne pas être gêné par une irritante possibilité de dérangements divers, il laissait sa main gauche caresser de temps en temps le velours vert. Il se mit à lire les derniers chapitres. Sa mémoire retenait sans effort les noms et l'apparence des héros. L'illusion romanesque le prit presque aussitôt. Il jouissait du plaisir presque pervers de s'éloigner petit à petit, ligne après ligne, de ce qui l'entourait, tout en demeurant conscient que sa tête reposait commodément sur le velours du dossier élevé, que les cigarettes restaient à portée de sa main et qu'au-delà des grandes fenêtres le souffle du crépuscule semblait danser sous les chênes.


Phrase après phrase, absorbé par la sordide alternative où se débattaient les protagonistes, il se laissait prendre aux images qui s'organisaient et acquéraient progressivement couleur et vie. Il fut ainsi témoin de la dernière rencontre dans la cabane parmi la broussaille. La femme entra la première, méfiante. Puis vint l'homme, le visage griffé par les épines d'une branche. Admirablement, elle étanchait de ses baisers le sang des égratignures. Lui, se dérobait aux caresses. Il n'était pas venu pour répéter le cérémonial d'une passion clandestine protégée par un monde de feuilles sèches et de sentiers furtifs. Le poignard devenait tiède au contact de sa poitrine. Dessous, au rythme du cœur, battait la liberté convoitée. Un dialogue haletant se déroulait au long des pages comme un fleuve de reptiles, et l'on sentait que tout était décidé depuis toujours. Jusqu'à ces caresses qui enveloppaient le corps de l'amant comme pour le retenir et le dissuader, dessinaient abominablement les contours de l'autre corps, qu'il était nécessaire d'abattre. Rien n'avait été oublié: alibis, hasards, erreurs possibles. A partir de cette heure, chaque instant avait son usage minutieusement calculé. La double et implacable répétition était à peine interrompue le temps qu'une main frôle une joue. Il commençait à faire nuit.


Sans se regarder, étroitement liés à la tâche qui les attendait, ils se séparèrent à la porte de la cabane. Elle devait suivre le sentier qui allait vers le nord. Sur le sentier opposé, il se retourna un instant pour la voir courir, les cheveux dénoués. A son tour, il se mit à courir, se courbant sous les arbres et les haies. A la fin, il distingua dans la brume mauve du crépuscule l'allée qui conduisait à la maison. Les chiens ne devaient pas aboyer et ils n'aboyèrent pas. A cette heure, l'intendant ne devait pas être là et il n'était pas là. Il monta les trois marches du perron et entra. A travers le sang qui bourdonnait dans ses oreilles, lui parvenaient encore les paroles de la femme. D'abord une salle bleue, puis un corridor, puis un escalier avec un tapis. En haut, deux portes. Personne dans la première pièce, personne dans la seconde. La porte du salon, et alors, le poignard en main, les lumières des grandes baies, le dossier élevé du fauteuil de velours vert et, dépassant le fauteuil, la tête de l'homme en train de lire un roman.

Julio CORTAZAR, Les armes secrètes (coll. Folio, éd. Gallimard)

samedi 12 janvier 2008

Cela s'appelle l'Aurore

La femme Narsès

Je sens évidemment qu'il se passe
quelque chose, mais je me rends mal compte
Comment cela s'appelle-t-il quand le jour se lève,
comme aujourd'hui, et que tout est gâché,
que tout est saccagé, et que l'air pourtant se respire, et qu'on a tout perdu,
que la ville brûle, que les innocents s'entretuent, mais que les coupables
agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?

Electre

Demande au mendiant, il le sait.

Le Mendiant

Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s'appelle l'aurore.

Rassurez vous, la guerre civile n'a pas décimé Pien : tout va bien ici. C'est que le magnifique lever de soleil saisi hier dans le jardin m'a juste remis en mémoire ces répliques finales de l'Electre de Giraudoux à la si belle teinte mêlée de catastrophe et d'espérance.

Bon anniversaire Jean-Paul !